Notes sur l'artiste


David Rambaud pour Nicolas Graffin.

Dans l’opposition naît la réaction. Lorsque les choses interagissent c’est qu’un rapprochement s’opère. Les contraires s’unissent pour créer le contraste ou pour diluer les différences.

Point à la ligne. Deux couleurs comme des funambules sous les rigueurs du tire-ligne. Deux contraires qui se disputent une présence impériale mais qui ne vibrent qu’à l’unisson, comme dans un compromis difficile, comme deux combattant duellistes. Rougeur verdâtre. Les compositions que dessinent ces deux acolytes chromatiques, comme les amours impossibles d’amants trop distants, sont à l’exacte image de ce qui se passe dans le tableau ; il y a confrontation. La répétition du motif ou du format, l'allégeance à la simplicité linéaire sont autant de raisons de traiter avec fluidité les contours des choses. Elle s’imposent au regard avec une intensité que la répartition du binôme coloré redouble.

Qu’est-ce qu’un coloriste sans motif? Un artiste qui ne pourrait choisir dans la gamme variée des possibilités qui lui sont offertes, hormis la restriction? Une certaine économie préside à la constitution de ces système perceptifs particuliers. Car il ne s’agit pas d’un simple jeu formel ; une autre vision du monde s’initie. Comme à travers un spectre infrarouge, à la limite de la vision conférée par les lunettes de nuit poularisées par le cinéma, l’image s’appuie sur des codes qui relèvent de l’imagerie populaire tout autant que de l’arabesque art-déco. 
La ligne verte, la trait rouge viennent se troubler l’un l’autre pour composer à l’unisson un vertige graphique articulé autour de la loi fondamentale des contrastes simultanés. Pourquoi choisir? Lorsqu’on s’avisait de demander à Matisse quelle était sa couleur préférée, il s’affranchissait en répondant : «Aucune, il n’y a que des relations!» Voilà donc où se situe le noeud de cette psychomachie, ce combat orchestré comme une valse où les protagonistes se défient, se toisent, se haranguent sans trouver d’autre issue que de danser perpétuellement. Le rouge et le vert comme meilleurs ennemis, comme une alternative au noir et blanc despotique, comme un retour aux ordres de la Nature, elle qui les a institué comme ses protagonistes chromatiques privilégiés, ses héraults récurrents. Car en fait, les baies, les fruits et l’immense majorité florale opte pour ce rouge vif qui tranche si frontalement avec la chlorophylle dominante qui confère à la végétation cette teinte si particulière. Nul animal ne s’y trompe qui voit dans cette discordance le lieu d’un amusement sexuel ou d’une nourriture assurée.

Il n’est jusqu’aux vierges Renaissantes qui se parent de cette dichotomie colorée en arborant si souvent le rouge et le vert qui ont fait la fortune du thème marial...

Le pompier le dispute à l’éboueur.
Comme le poisson rouge tournoyant dans l’eau verte de son bocal.
Les couleurs de l’Islam.
Comme un espoir de colère...
Comme l’épouse Arnolfini se découpant au devant des tentures tendues du lit conjugal.


Le choix de la ligne se substitue à celui des couleurs qui la feront apparaître. Cela aurait pu être le bleu et l’orange ou le violet et le jaune mais ces affinités n’auraient pas convenues au dessein que se propose les raisons iconographiques qui président aux motifs choisis. Des paysages ou des ciels rouges perturbent les perceptions et font de nous des daltoniens, pardon, des dischromatopsiques qui n’associent plus correctement les éléments connus et ceux qui nous sont proposés visuellement et brutalement.

Force est de reconnaître que les appariements auxquels se livre la Nature sont ajustés à ces couleurs si contrastés et si inquiètes. 

Des architectures se déploient, des super-héros se dessinent en ombres chinoises et des motifs répétitifs se superposent, se troublent, interfèrent avec leur environnement uniforme. L’activité cinétique que produit l’utilisation obtue de deux couleurs que tout oppose, la force de persuasion de lignes simples et obstinées, graphiques et picturales à la fois, confère à ses compositions l’efficacité limpide d’arrangements sans préciosité fabriquée.
Le regard se trouble à force de pénétration car tout est instable, sans contour net, alors que tout est précision, ligne fluide, tracé maîtrisé. C’est sans doute dans cet effet contradictoire où les choses si bien définie dans leur substance sont contredites par l’utilisation de couleur s qui viennent perturber leur si bel agencement. Un ordre pour un désordre et, dans cette déstabilisation du regard qui croit pouvoir fixer la forme et se l’accaparer, se perdre dans un jeu de résonance vibratoire. On sait bien qu’une couleur agit sur sa voisine avec une froide obstination, mais lorsqu’elles se réduisent à n’être que deux, s’étirant sur toute la surface, contraignant les relations entendue en matière de peinture, le regard est perturbé et gêné pour son plus grand délice. La peinture est indistincte de près et trompeuse de loin...

Les motifs répétitifs qui scandent la surface vitupèrent à l’encontre de ce recouvrement uniforme et semblent s’agiter, noyés dans ces aplats audacieux qui ferment l’espace et confrontent les formes à un fond absolu, englobant.

Il y a comme une obstination contre-nature à vouloir s’associer les bonnes grâces de ces deux comparses antinomiques. Comme une sourde envie de les livrer à un combat sans merci qui fait se cotoyer des adversaires indispensables et constants...

Puis il y a ces jeux de reflets, de matité et de vernis sélectifs. Les camaïeux ne se révèlent qu’avec des lumières fluctuantes, qu’avec la complicité d’un spectateur en mouvement et la nature changeante d’un lieu aux ouvertures variés. Dans la subtilité du traitement apparaît celui du motif, là où se détache insolemment comme un ponctuation, un élément tranchant, arrogant, un épiphénomène, quelque chose de vert qui vient troubler le rouge environnant.

Le modelé est étranger à cette alchimie qui ne supporte que la teinte locale, franche, déterminée. Pas de rehauts superflus, ni de glacis amphigouriques, l’heure est à l’aplat, sûr, franc, définitif et suffisant. Il ne supporterait pas la nuance et la diversion.

On est proche du minimum créatif mais l’intensité est généreuse et cherche une efficacité sobre. Le superfétatoire est absent de ces compositions où s’associent les grands principes de la physique plastique. C’est une ôde au spectre coloré, un hommage aux Newton, Goethe, Chevreul et Itten... Comme uns insolente réponse à ceux qui ont décomposé la science des peintres, en leur disant que l’on peut trouver une application singulière et audacieuse à leurs principes.